100% antigaspi pour la restauration et l’événementiel

Le gaspillage alimentaire, en France, cela vous parle ? Si l’appli Too Good To Go cartonne chez les particuliers et permet, chaque jour, de sauver de nombreux invendus dans le secteur alimentaire, les professionnels peinent encore à trouver des solutions à grande échelle. Il y a quelques semaines, Jérémy Grosdidier et Michelle Primc (restaurant Pristine à Paris) nous expliquaient se fournir en produits déclassés auprès d’une société, Beesk, qui achète les excès de production aux producteurs et les revend aux professionnels de la restauration et de l’évènementiel, participant ainsi activement à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Rencontre avec la co-fondatrice de Beesk, Faustine Calvarin, une femme engagée comme il nous plait d’en rencontrer.

Flannie : Bonjour Faustine, vous travaillez beaucoup avec des restaurants comme le restaurant Pristine à Paris ? 

Faustine : Brasseries, restaurants, crèches, maisons de retraite, hôtellerie, armée… Aujourd’hui, on travaille avec tous les secteurs où on emploie de la restauration, collective ou commerciale. On a lancé Beesk avec mon associé, Fabien, en 2018. Ensemble, on a créé le premier distributeur alimentaire dédié à la lutte contre le gaspillage. Nous usons des mêmes codes que la distribution pour la restauration : catalogue en ligne, récurrence de produits… Mon sourcing à moi est juste 100% antigaspi.

F : une évidence pour vous ? 

FC : Quand on a créé Beesk, on a ajouté du bon sens dans notre façon de faire, sachant que 14 000 tonnes par jour en France de produits alimentaires sont gaspillés, 14 000 tonnes de produits consommables qui ne se retrouveront jamais dans nos assiettes. Moi, ça me révolte. 14 000 tonnes, c’est l’équivalent de 24 millions de repas par jour si on prend une portion de 600 g. La réalité, c’est que ces 14 000 tonnes sont composés en majorité de produits excellents. Ils ont une fiche technique, ils suivent la réglementation mais ils souffrent d’un délit de sale gueule. 

Partant de ce constat, nous avons lancé l’entreprise. J’étais auparavant responsable qualité dans l’agroalimentaire et j’ai fait des découvertes dramatiques en industrie. Mon associé, Fabien, vient lui aussi du milieu de l’agroalimentaire. Il montait des lignes de calibrage. Nous nous sommes dit “mais ce n’est pas possible de jeter autant de produits parce qu’il manque un demi centimètre par-ci ou parce que la couleur est légèrement plus cuite d’un côté !” Ce sont des délits de sale gueule, tout simplement, quand vous savez qu’aujourd’hui on a des lignes de calibrage qui permettent d’écarter les pommes parce qu’elles n’ont pas 70% de jaune et 30% de rouge sur le dessus. Aujourd’hui, il faut qu’on prenne conscience qu’on est allé un peu loin dans les cahiers des charges et que la nature ne fait pas que des choses droites. Nous avons donc décidé d’aller acheter tous ces produits qui ont un petit défaut visuel mineur et de les ramener dans la restauration française. 

F : Vous avez d’autres exemples de “délits de sale gueule” ?

FC : Le fromage. Aujourd’hui, Beesk achète de magnifiques bries de 3 kg parce que d’un côté ils font 3 centimètres de haut et d’un autre 2,5 de haut. Ce sont des produits que le producteur doit écarter alors que ce sont de très beaux produits dont on ne voit plus le “défaut” une fois découpés. Il y a aussi les oignons trop gros laissés de côté alors que de gros oignons c’est génial en cuisine. Côté viande, c’est hyper intéressant. C’est de l’équilibre matière. En été, on veut généralement des morceaux qui passent au barbecue. En hiver, on préfère des morceaux qui se mijotent. Que font les producteurs du reste de la bête chaque saison ? Ils n’arrivent à valoriser que 50 ou 70% de l’animal. Chez Beesk,on va à contre-courant. En été, je vais acheter à mon producteur de porc tous les morceaux qui se mijotent et en hiver toutes les grillades et je vais les vendre pour réussir à équilibrer. 

F : Et vous trouvez preneurs ? 

FC : Nos clients sont engagés à nos côtés. Maintenant qu’ils ont compris la problématique, ils sont prêts à trouver de nouvelles recettes pour faire en sorte de pouvoir accompagner cette filière alimentaire. Il faut arrêter de dire en été “je veux 50 kilos de grillade.”. Ce qui serait bien, c’est que le restaurateur appelle le producteur en disant “qu’as-tu besoin que j’achète et je vais faire ma carte en fonction ?” On a tellement déséquilibré le système que cela n’a plus aucun sens. Nos clients s’engagent à prendre 5 à 10% d’antigaspi. Ces 5 à 10% sont vraiment notre fil rouge pour pouvoir communiquer sur la démarche et le partenariat.

On travaille beaucoup le poisson surgelé. Il arrive que notre fournisseur ait une queue de lot, un volume trop faible pour vendre à ses clients. Par exemple, 4 tonnes de saumon. Pour un industriel, 4 tonnes de saumon, c’est trop peu pour le vendre à ses clients. Il ne sait plus quoi en faire. La déconnexion des volumes est complètement dingue. Aussi, nous lui trouvons preneur et évitons de gaspiller 4 tonnes de saumon.

Mon métier, c’est d’accompagner tous les producteurs et industriels français sur des produits qu’ils n’arrivent pas à vendre et de trouver une voie de valorisation en alimentation humaine. 

F : Avez-vous une idée de la quantité de produits que vous arrivez à sauver par an ?

FC : Globalement, aujourd’hui, nous sommes entre 500 et 700 tonnes par an. Vous voyez un peu la marge de manœuvre ? 14 000 tonnes par jour de disponible et nous en sauvons moins de 10 par jour.

J’ai commencé avec des convictions personnelles. Aujourd’hui, je suis devenue militante. Je reçois tous les jours des mails d’appels à l’aide de producteurs qui ont besoin d’aide parce que, par exemple, la campagne d’un légume a commencé 2 semaines plus tôt à cause de la chaleur – 2 semaines d’avance sauf que le marché n’était pas prêt. Pour le producteur, c’est 2 semaines de production perdues. Le marché n’a pas de flexibilité. 

F : Pensez-vous que les mentalités sont en train de changer ?

FC : Absolument. Je trouve que, depuis 9 mois, voire 1 an, il se passe quelque chose. La réglementation évolue. L’union européenne s’est réengagée il y a quelques semaines au niveau du gaspillage alimentaire à réduire de 25 à 30% d’ici 2030. On parle du label antigaspi national pour la restauration sur lequel un groupe de travail a démarré il y a quelques mois. Il sera officiellement finalisé autour du premier semestre 2024 et permettra aux restaurants qui se sont engagés de valoriser leur démarche avec un label officiel. J’ai rencontré Guillaume Garrot, l’initiateur de la loi de 2016 sur le gaspillage alimentaire et la présidente du conseil national de l’alimentation. J’aimerais qu’un amendement arrive pour que les approvisionnements antigaspi entrent dans la réglementation. Aujourd’hui, ces approvisionnements sont des oubliés du gaspillage alimentaire. Dans les restaurants, on parle de réduire les portions, de bien trier, de tout utiliser sur le produit mais on ne parle jamais de la situation au niveau des achats. 53% du gaspillage alimentaire français a lieu en amont, chez les producteurs et les industriels. Il faut prendre conscience de l’amont, qui est plus éloigné de nous. Quand on achète une tomate ou une pomme dans une grande surface, on ne se pose pas vraiment de question sur qui l’a produite et s’il s’en sort. Il faudrait rapprocher les acteurs de la chaîne alimentaire pour qu’on reprenne conscience des producteurs. S’il y avait une photo du producteur au-dessus du stand de pommes  qui dit “s’il vous plaît, prenez même les tachées sinon c’est 1h sur 5 pour laquelle je ne vais pas être payé”, je suis sûre que les gens seraient plus sensibles. 

F : Combien de restaurateurs se fournissent chez Beesk ?

FC : 300 à 400 restaurateurs travaillent régulièrement nos produits. Les indépendants ont un vrai attrait pour ce sujet. Leur avantage, c’est qu’ils ne sont pas contraints par des choix de groupes, des menus de groupes. Du côté de la restauration collective, quand un groupe a décidé de s’engager auprès des achats nationaux, cela amène beaucoup d’ouverture. On a des clients comme La guinguette d’Angèle qui a complètement adhéré à notre projet et va adapter quand elle le peut ses menus à de l’antigaspi pour emmener la démarche jusqu’au bout. 

Il y a aussi un intérêt économique pour tout le monde. Cela permet aux producteurs d’avoir un revenu complémentaire plutôt que de détruire leur production. De l’autre côté, cela permet aux clients de gagner un petit peu sur le portefeuille ou à monter en gamme – Les scolaires, par exemple, peuvent avoir du bio au prix du conventionnel et aller ainsi vers le mieux manger. Au-delà de la dimension sociale et écologique (le gaspillage alimentaire français est responsable de 3% des émissions de gaz totales du pays), on propose des produits aussi à des prix intéressants. 

A SAVOIR : 

A l’occasion de la Semaine du Développement Durable (18 septembre au 8 octobre). Beesk organise l’opération A Midi c’est antigaspi, permettant aux chefs cuisiniers de la restauration collective de préparer un menu 100% anti-gaspillage pour soutenir les producteurs français. Chez Beesk, nous nous engageons à reverser 5% du poids total sauvé à des associations partout en France. 

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